Vivification du mois de Ramadan 1444h - 2023
« Yâ Jumlatan » est un poème écrit par Cheikh Ahmadou Bamba en 1903, un an après son retour d’exil. Il ne présente pas de titre propre. C’est l’incipit qui joue ce rôle. Sa métrique est le « Tawil » à l’image de « Rabbî Karîmun » et « Kun Kâtiman ». L’allure du poème ressemble énormément à ceux écrits durant l’exil du fait de son caractère acerbe. Il est à inscrire dans la période des dix ans que le Cheikh repère comme étant celle du « Jihâd ».
Le contexte d’écriture du poème est marqué par les accusations de Jihâd (guerre sainte) dont le Cheikh a été accusé. Chat échaudé craignant l’eau froide, les colons craignaient ce « Jihâd » pour avoir eu maille à partir avec des chefs de guerre qui se sont battus contre eux sous la bannière de l’Islam. C’est pour répondre à ces accusations contre lui que le Cheikh a composé « Yâ Jumlatan ».
Le poème est souvent classé parmi les pamphlets, car il s’agit d’un écrit satirique, « agressif », à l’image de beaucoup de khassaïdes écrits par le Cheikh lors de son exil. Ce caractère pamphlétaire est perceptible tant au niveau lexical que dans l’allure des propos. Néanmoins, il serait plus judicieux de parler de dominante pamphlétaire, car tout le poème, de façon unilatérale, n’en est pas un. À un certain moment, on note une sorte de lénifiant, d’accalmie, des passages où le ton s’avère moins acerbe.
S’agissant du contenu, dès le premier vers, le Cheikh écrit : « Yâ Jumlatan qad sallasû bi dalâlihim, man lam yakun waladun Lahû awwâlidu » (Ô gens qui, par votre égarement, convoquez la trinité à l’égard à Celui qui n’a ni fils, ni père !). Il est frappant de noter que le Cheikh démarre les « hostilités » dès le premier vers du poème. Or, il était plus courant de le voir entamer ses écrits par une prière. Mais ici, le premier vers se pose comme un premier coup de flèche décoché. Le Cheikh ne s’embarrasse guère de préparations, ni de préalables, encore moins de préambules. Il touche directement du doigt le point de fracture entre les musulmans et ces ennemis de Dieu que sont les colonialistes.
Le Cheikh n’y va pas de main morte à l’endroit de ces ennemis, en égrenant les principaux griefs contre eux, à savoir la trinité et le fait de conférer une progéniture ou une ascendance à Allah. Des faits en porte-à-faux avec le monothéisme pur que nous enseigne la Sourate « Al Ikhlâs ».
Face aux accusations dont il fait l’objet, le Cheikh montre que la meilleure façon de se défendre, c’est d’attaquer. C’est ainsi qu’il écrit aux vers 2 et 3 : « Vous m’aviez exilé sous prétexte que je suis un esclave d’Allah et que je mène la guerre sainte », « Vous soupçonnez que nous détenons des armes… ». Après ce rappel des accusations, le Cheikh est non pas dans la défensive, mais dans l’offensive. « …Tout ce que vous dites est vrai », mentionne-t-il. Et d’ajouter : « …je suis bien un esclave de Dieu ». En définitive, le Cheikh encaisse, revendique les critiques formulées à son endroit. Il complète ensuite sa réponse en DÉCLARANT au vers 6 : « Certes je mène la guerre, mais avec comme armes les Sciences et la Crainte révérentielle de Dieu ». Il revient à la charge au vers 7 : « Je suis un esclave de Dieu Le Très-Haut et un serviteur du Prophète ». Au vers 23, il estampille sa déclaration avec une prière sur le Prophète (PSL) pour leur montrer ce sur quoi il se focalise.
Le Cheikh monte ensuite au créneau et opère une sorte d’éclaircie éphémère (il glorifie Allah et prie sur le Prophète) avant de revenir à la charge. C’est ainsi qu’au vers 11, il traite ces ennemis de tyrans et de jaloux. Et de poursuivre au vers 12 : « L’Unicité divine est l’épée avec laquelle je fends le cou de ceux qui convoquent la trinité à l’égard d’Allah ». Le rythme va crescendo au vers 13 quand le Cheikh écrit : « Malheur aux gens qui convoquent la trinité de Celui qui n’a ni fils, ni père ». Le clou arrive au vers 14 : « Ouf ! [Mépris] aux gens qui associent Dieu et dont les mâles incirconcis sont tous des lâches et des capitulards ». L’onomatopée « Ouffine » témoigne du caractère acerbe de la critique. S’ajoutent les termes « Khulfun », « Jubba-un » et « Mukâbidu » qui, par leurs sonorités, dénotent le mépris qu’éprouve le Cheikh envers ces gens.
A suivre…
Commentaire : Serigne Mansour Seck (Membre comité scientifique HT)
Restitution : Awa Tall Ba
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